Carcinome épidermoïde du canal anal (prise en charge)

1. Epidémiologie

Le cancer du canal anal est un cancer rare (moins de 4 % des cancers digestifs) mais dont l’incidence augmente régulièrement, probablement en raison de son association avec l’infection HPV (human papillomavirus). Ainsi l’incidence est de l’ordre de 1,3 / 100 000 chez l’homme et de 2,1 / 100 000 chez la femme. Il touche préférentiellement les femmes dans leur septième décennie, cependant le profil épidémiologique se modifie avec l’atteinte de patients masculins, plus jeunes, séropositifs pour le VIH: l’incidence est encore plus élevée (45,9/100 000) chez les patients VIH+, homosexuels masculins, sans que l’avènement des thérapies antirétrovirales n’ait entrainé de diminution. Le risque de cancer anal est ainsi multiplié par 40 pour un homme infecté par le VIH et par 80 chez les homosexuels VIH.

Le type histologique le plus fréquent du cancer du canal anal est le carcinome épidermoïde. Une infection par HPV est associée dans plus de 90 % des cas au cancer de l’anus (association également retrouvée pour les cancers du col de l’utérus et les cancers de la sphère ORL). Généralement, l’apparition d’un carcinome épidermoïde invasif est précédée par le développement de lésions dysplasiques de bas grade puis de haut grade. Pour autant, toutes les lésions dysplasiques n’évoluent pas vers le carcinome invasif, et le risque de dégénérescence est influencé par d’autres facteurs comme l’immunosuppression (patients VIH+ ou traitement immunosuppresseur). La dysplasie régresse chez certains patients, de ce fait le risque réel d’évolution de la dysplasie anale vers le cancer reste difficile à évaluer. Un examen proctologique de dépistage est recommandé chez les hommes ou les femmes HIV et chez les femmes aux antécédents de dysplasie du col indépendamment de leur statut HIV.

2. Diagnostic

Le carcinome épidermoïde du canal anal est un cancer lymphophile avec une extension principalement locorégionale pelvienne, les atteintes métastatiques viscérales restant rares. Le bilan pré-thérapeutique comprend le bilan d’extension de la tumeur et le bilan du terrain du patient. L’examen clinique avec anuscopie et toucher rectal reste primordial et doit préciser l’extension locale de la lésion. Le bilan para-clinique comprend au minimum une IRM pelvienne, qui est actuellement le meilleur examen pour évaluer l’extension locorégionale des tumeurs localement évoluées, et un TEP-scanner, intéressant pour l’évaluation de l’atteinte ganglionnaire loco-régionale et des métastases. L’écho-endoscopie anale reste intéressante pour l’évaluation des petites lésions superficielles.

La taille tumorale supérieure à 4 cm, la présence d’une atteinte ganglionnaire associée ainsi que le sexe masculin sont les principaux facteurs de mauvais pronostic.

3. Principes de prise en charge

Le carcinome épidermoïde du canal anal est un cancer curable dont les modalités de traitement reposent sur la radiothérapie :

  • Radiothérapie exclusive pour les tumeurs localisées (T1 ou T2N0)
  • Radiochimiothérapie pour les tumeurs localement évoluées (T2 > 4cm, T3-4 ou N+)

Le traitement des cancers du canal anal a bénéficié des progrès techniques non seulement de l’imagerie (TEP-scanner, IRM) mais également de la radiothérapie avec l’avènement de la modulation d’intensité et de l’imagerie embarquée. La Radiothérapie Conformationnelle avec Modulation d’Intensité (RCMI) permet de conformer la dose au volume cible complexe (incluant la tumeur et les aires ganglionnaires inguinales et pelviennes) à traiter, tout en protégeant les organes sains. Elle permet une diminution des toxicités aiguës et par conséquent d’éviter ou de diminuer les pauses fréquemment nécessaires auparavant. Dans la mesure où elle est liée à un fort gradient de dose à l’interface volumes cibles/ tissus sains, elle nécessite un contrôle précis du positionnement du patient et des volumes cibles lors du traitement. En concomitant avec l’irradiation, la chimiothérapie recommandée est une association de mitomycine et 5U (ou capécitabine), mais l’association cisplatine et 5FU peut être une option chez les patients fragiles pour lesquels l’hématotoxicité est redoutée.

L’enjeu du traitement reste la survie et le contrôle loco-régional tout en diminuant la toxicité et les séquelles, la chirurgie (amputation abdomino-périnéale) restant réservée aux échecs ou aux récidives après traitement.

La surveillance repose essentiellement sur l’examen clinique, l’IRM et le TEP-scanner. Une première évaluation est proposée dans les 8 semaines suivant la fin du traitement, puis tous les 4 à 6 mois pendant 5 ans. Un des objectifs de la surveillance est de diagnostiquer précocement les récidives loco-régionales pouvant justifier d’un traitement chirurgical de rattrapage. Néanmoins la réponse après traitement peut être lente comme le montrent les résultats de l’essai ACT2 : un délai de 4 à 6 mois parait nécessaire pour laisser le temps d’une réponse complète.

En cas de récidive non opérable ou métastatique, le traitement repose sur la chimiothérapie selon un protocole DCF modifié (Docetaxel, Cisplatine, 5FU) en première intention, ou une association à base de 5FU et cisplatine ou mitomycine.

4. Enjeux et perspectives

Si les résultats sont excellents pour les tumeurs localisées, ils restent problématiques pour les tumeurs localement évoluées, baissant rapidement à 60 % de survie sans récidive à 3 ans en cas d’envahissement ganglionnaire associé. Pour ces tumeurs, la question actuelle concerne les options d’intensification thérapeutique, soit par escalade de dose en radiothérapie, soit par chimiothérapie néo-adjuvante ou adjuvante. De nouvelles associations thérapeutiques sont également à l’étude : les thérapies ciblées (anti-EGFr) ont donné lieu à des résultats controversés. L’arrivée de l’immunothérapie constitue une nouvelle voie de recherche avec un rationnel fort compte tenu des voies immunitaires impliquées dans la carcinogénèse viro-induites. Des résultats préliminaires avec le pembrozilumab et le nivolumab semblent prometteurs dans les formes métastatiques. A l’inverse, une désescalade thérapeutique serait possible pour les petites tumeurs, par radiothérapie exclusive ou radiochimiothérapie en limitant la dose à 30 Gy sur des volumes réduits, voire chirurgie pour les T1.

Véronique Vendrely, MD, PhD

Service de radiothérapie,
CHU de Bordeaux,
Hôpital Haut-Lévêque,
Avenue de Magellan, 33604 Pessac.

Tel : 05 57 62 33 00.
Email : veronique.vendrely@chu-bordeaux.fr

Mots clés

Cancer du canal anal, Radiochimiothérapie, HPV, RCMI, Immunothérapie

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