Cancer de l’œsophage

Le cancer de l’œsophage figure parmi les 5 cancers digestifs les plus fréquents au monde. Il existe d’importantes variations géographiques de l’incidence et de la mortalité des cancers de l’œsophage en fonction du sexe et de l’ethnicité. Les deux principaux types histologiques de cancer de l’œsophage sont le carcinome épidermoïde et l’adénocarcinome ; ils ne partagent pas les mêmes caractéristiques épidémiologiques ni les mêmes facteurs de risque. Alors que l’incidence du carcinome épidermoïde augmente au niveau mondial, les taux d’incidence diminuent aux États-Unis et en France ; cette diminution s’accompagne d’une augmentation des taux d’incidence des adénocarcinomes de l’œsophage et du cardia.

EPIDEMIOLOGIE DU CANCER DE L’ŒSOPHAGE

A l’échelle mondiale, le cancer de l’œsophage se situe au 8ème rang des cancers en termes d’incidence (572 000 nouveaux cas diagnostiqués en 2018) et au sixième rang en termes de mortalité (508 000 décès). En France, en 2018, on estimait à 5 445 le nombre de nouveaux cas de cancer de l’œsophage, dont 78 % chez l’homme. Le nombre de décès par cancer de l’œsophage était estimé à 3 725, dont 77 % chez l’homme. Entre 1990 et 2018, le taux d’incidence standardisé a diminué de 2,7 % par an chez les hommes passant de 14,7 cas pour 100 000 personnes‑années à 6,8 cas pour 100 000 personnes‑années. Chez la femme, le taux d’incidence a augmenté en moyenne de 0,9 % par année (taux variant de 1,2 pour 100 000 en 1990 à 1,5 en 2018). Les taux d’incidence les plus élevés sont constatés dans les Hauts de France, en Bretagne, en Normandie et dans les Pays de Loire. Parallèlement, la mortalité a diminué de 3,4 % par an chez les hommes et est restée stable chez les femmes.

FACTEURS DE RISQUE

En occident, le carcinome épidermoïde de l’œsophage est lié à la consommation d’alcool et de tabac. L’alcool augmente le risque de façon dose-dépendante. Le tabac est un facteur de risque indépendant. La conjonction des habitudes alcooliques et tabagiques présente un effet multiplicatif. Les deux principaux facteurs de risque de l’adénocarcinome de l’œsophage sont le reflux gastro-œsophagien (RGO) et l’obésité. Le risque est d’autant plus important que les symptômes de RGO sont plus fréquents, anciens et sévères. L’obésité augmente le risque indépendamment du reflux. Les autres facteurs de risque sont le tabagisme et une alimentation pauvre en fruits et légumes. L’adénocarcinome de l’œsophage résulte habituellement de la transformation maligne d’un endobrachyœsophage (EBO). Les facteurs de risque en lien avec l’EBO sont l’âge et l’étendue de l’EBO, les antécédents de sténose ou d’ulcère de Barrett.

PRONOSTIC DU CANCER DE L’ŒSOPHAGE

Le cancer de l’œsophage est rarement diagnostiqué à un stade précoce car la plupart des malades ne consultent que lorsqu’ils ressentent des symptômes liés à l’obstruction de la lumière œsophagienne par la tumeur. De ce fait, le cancer de l’œsophage fait partie de la catégorie des cancers qui ont les taux de survie à 5 ans les plus faibles. Dans l’étude EUROCARE-5 portant sur 127 685 cas diagnostiqués entre 2000 et 2007, les taux de survie relative à 1 an et à 5 ans étaient de 39,2 % et 12,4 %. Toutefois, une amélioration de la survie est observée ; elle peut s’expliquer par les progrès réalisés dans la prise en charge péri-opératoire ainsi que par l’amélioration des techniques de radiothérapie et chimiothérapie. Aux États-Unis, la diminution de la mortalité a été plus importante pour les stades précoces que pour les stades localement avancés ou métastatiques de cancer. Cela doit inciter à focaliser les efforts de prévention sur les populations à risque de cancer de l’œsophage, en particulier les patients guéris d’un cancer ORL et les EBO car la surveillance endoscopique permet de détecter les néoplasies à un stade plus précoce.

DIAGNOSTIC DU CANCER DE L’ŒSOPHAGE

Quelles que soient les circonstances de découverte, le diagnostic impose la réalisation d’une endoscopie et de biopsies. L’endoscopie permet de préciser l’aspect de la tumeur, son extension intraluminale, la hauteur tumorale si la lésion est franchissable et sa position par rapport à la jonction oeso-gastrique, l’existence éventuelle d’un EBO. Les biopsies endoscopiques dirigées permettent de confirmer le diagnostic et de préciser le type histologique du cancer. Le diagnostic des néoplasies superficielles nécessite un examen endoscopique soigneux de la muqueuse de l’œsophage. Ce diagnostic est facilité par la chromoscopie utilisant le lugol ou l’acide acétique et par les techniques de chromoscopie virtuelle. La chromoscopie virtuelle est aussi sensible et plus spécifique que la coloration au lugol en cas de carcinome épidermoïde. En cas d’EBO, la chromoscopie virtuelle permet de détecter plus de néoplasies superficielles qu’une analyse en lumière blanche avec le protocole de Seattle ; elle permet également de cibler les biopsies et d’en réduire le nombre.

BILAN DU CANCER DE L’ŒSOPHAGE

Le bilan d’un cancer de l’œsophage comporte deux volets :

  • Un bilan carcinologique qui va déterminer le stade évolutif de la tumeur selon la classification cTNM (clinical TNM) et de préciser son extension locorégionale et générale 
  • un bilan pré thérapeutique qui comprend une évaluation de l’état général du malade et des pathologies associées, une évaluation de l’état nutritionnel, une consultation d’anesthésie et chez les patients âgés de plus de 70 ans, une consultation d’oncogériatrie. Ce bilan permet d’évaluer la faisabilité des différentes options thérapeutiques.

A l’issue de ce bilan, chaque cas doit être présenté et discuté en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP). La stratégie thérapeutique est définie en accord avec le patient et en lien avec le médecin traitant sur la base de l’avis rendu en RCP.

PLACE DU TRAITEMENT ENDOSCOPIQUE À VISÉE CURATIVE

La résection muqueuse endoscopique est le traitement de référence des néoplasies superficielles de l’œsophage ayant un risque d’extension ganglionnaire nul ou très faible. Le risque ganglionnaire dépend du type histologique, de la profondeur d’invasion tumorale, du degré de différenciation et de la présence ou non d’emboles lymphatiques ou vasculaires. A profondeur d’invasion identique, l’envahissement ganglionnaire est plus fréquent en cas de carcinome épidermoïde qu’en cas d’adénocarcinome. La qualité de la résection est essentielle pour un traitement curatif. Les règles carcinologiques imposent qu’elle soit monobloc avec des marges latérales et profondes de sécurité. Les techniques de résection endoscopique sont la mucosectomie et la dissection sus-muqueuse.

PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES CANCERS DE L’ŒSOPHAGE

La chirurgie première peut être proposée à tout patient porteur d’un cancer de l’œsophage invasif de stade I ou IIa, ne relevant pas du traitement endoscopique. Pour les tumeurs de stade IIb et les tumeurs plus volumineuses classées cT3N0, le traitement chirurgical doit être associé à un traitement péri opératoire : radio chimiothérapie préopératoire en cas de carcinome épidermoïde, chimiothérapie en cas d’adénocarcinome. La radio chimiothérapie néo adjuvante est indiquée pour les carcinomes épidermoïdes opérables de stade III, mais reste à discuter versus une chimiothérapie péri opératoire pour les adénocarcinomes opérables.

PLACE DE LA RADIOCHIMIOTHÉRAPIE EXCLUSIVE DANS LA PRISE EN CHARGE DES CANCERS DE L’ŒSOPHAGE

La radio chimiothérapie exclusive s’adresse aux patients porteurs d’un cancer de l’œsophage non opérable ou non résécable, non métastatique. La radiothérapie étalée avec fractionnement classique doit être préférée à la radiothérapie en split course. La dose doit être limitée à 50 Gy. La chimiothérapie qui pendant des années reposait sur le protocole 5FU-cisplatine est désormais remplacée par le FOLFOX ou le taxol-carboplatine.

PRISE EN CHARGE DES CANCERS METASTATIQUES ET TRAITEMENTS PALLIATIFS

L’objectif de la prise en charge est de privilégier la qualité de vie. Lorsque l’état général est conservé, le traitement associe une palliation de la dysphagie par la pose d’une endoprothèse ou des techniques de destruction tumorale endoscopique et la chimiothérapie éventuellement associée à la radiothérapie. Si l’état général est altéré, la prise en charge comporte un traitement endoscopique de la dysphagie et des soins palliatifs.

ENJEUX ET PERSPECTIVES THERAPEUTIQUES

La prise en charge des cancers de l’œsophage nécessite un haut niveau d’expertise de tous les acteurs impliqués. Les gastroentérologues sont des acteurs majeurs de cette prise en charge que ce soit pour le bilan initial du cancer, la surveillance endoscopique des populations à risque, la détection et le traitement endoscopique des néoplasies superficielles et la prescription des chimiothérapies. Les efforts de recherche portent sur une personnalisation des prises en charge et la définition de marqueurs moléculaires pronostiques et/ou prédictifs de certaines thérapies ciblées ou de l’immunothérapie.

Lucille Quénéhervé, Roger Faroux, Pierre Michel et Michel Robaszkiewicz
Brest, La Roche Sur Yon, Rouen