Addiction à l’alcool

ÉPIDÉMIOLOGIE

Après une diminution régulière depuis les années 1960, la consommation d’alcool en France s’est stabilisée et reste à un niveau élevé de 11,7 litres d’alcool pur par habitant et par an en 2017. Il existe une grande hétérogénéité des modes de consommation, notamment selon l’âge et le sexe. On observe une consommation quotidienne d’alcool essentiellement chez les 65-75 ans (26%) vs 2,3% chez les 18-24 ans. Chez ces jeunes adultes, à l’inverse, on observe principalement des ivresses (ou alcoolisations ponctuelles importantes c’est à dire consommation de plus de 5 verres en une seule occasion) et elles sont régulières (au moins dix ivresses au cours des 12 derniers mois) chez 20% d’entre eux. En moyenne, 10% des 18-75 ans déclarent consommer de l’alcool chaque jour et les hommes trois fois plus que les femmes.Toutefois la majorité des personnes consomme modérément (10% de l’alcool vendu), tandis que 8% des personnes (dépendantes) consomment 50% de l’alcool.

Selon l’OFDT, le coût social de l’alcool serait de 120 milliards par an. Du point de vue de la santé, la mortalité globale attribuable à l’alcool est élevée : 7% des décès en 2017 ce qui correspond à 41 000 morts (30 000 hommes et 11 000 femmes) avec une fraction attribuable maximale de 15% pour les 35-64 ans. La mortalité est liée à des cancers (39%), des maladies cardio-vasculaires (24%), des maladies digestives -essentiellement des cirrhoses- (16%), accidents et suicides (13%), maladies neuro-psychiatriques (8%). Les minimes et très sélectifs effets protecteurs de l’alcool sont réduits à néant par ses effets délétères en cas de consommation quotidienne même en petite quantité.

Dans un travail réalisé sous l’égide de Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa) en 2017, les experts ont tenté de trouver un compromis entre les risques attribuables à l’alcool au sein d’une population et le risque acceptable pour un individu qui choisit d’en consommer en connaissance de cause. Ils ont proposé « des repères pour la consommation » et recommandent de ne pas dépasser deux verres par jour (un verre contenant 10 g d’alcool pur) avec au moins deux jours par semaine sans consommation.

DIAGNOSTIC

Il existe un continuum entre l’usage simple et le mésusage comprenant l’usage à risque, l’usage nocif et la dépendance. Le diagnostic peut être fait en utilisant les critères du CIM-10, du DSM-IV ou du DSM-5. Des indicateurs sociaux, généralement précoces, et médicaux peuvent faire suspecter un mésusage d’alcool. Le repérage devrait être fait de façon systématique par tout intervenant médico-social en utilisant le questionnaire AUDIT-C, qui correspond aux 3 premières questions de l’auto-questionnaire AUDIT (validé pour le dépistage du mésusage d’alcool et ses complications) :

  1. À quelle fréquence vous arrive-t-il de consommer des boissons contenant de l’alcool ?
  2. Combien de verres standards buvez-vous au cours d’une journée ordinaire où vous buvez de l’alcool ?
  3. Au cours d’une même occasion, à quelle fréquence vous arrive-t-il de boire six verres standard ou plus ?

Zéro à 4 points sont attribués à chaque question selon la réponse obtenue. Un score ³ 3 chez la femme et ³ 4 chez l’homme doit faire évoquer un mésusage de l’alcool (un score égal ou supérieur à 10 chez la femme ou chez l’homme doit faire évoquer une dépendance à l’alcool). Le repérage d’un mésusage doit aboutir à :

  1. la notification de cette information sur le dossier du patient ;
  2. la recherche des complications du mésusage ;
  3. la planification de l’intervention addictologique en fonction du niveau de sévérité.

La sévérité du mésusage de l’alcool peut se mesurer par le compte du nombre de critères diagnostiques du trouble de l’usage (DSM-5), la consommation d’alcool moyenne par jour, le nombre moyen de jours de consommation excessive par mois. Du fait d’un risque élevé de comorbidités, la recherche d’autres addictions (tabac, drogues non légales, comportementales) doit être systématique. Le dépistage clinique et biologique et la prise en charge des complications somatiques doivent être organisés par le médecin ou l’équipe : test d’évaluation neuropsychologique de Montréal (MoCA) pour le dépistage des troubles cognitifs induits par l’alcool, recherche d’une maladie alcoolique du foie (cf chapitre : maladie du foie liée à l’alcool), recherche systématique d’une comorbidité psychiatrique. L’évaluation sociale prendra en compte la qualité de l’entourage, le mode d’hébergement, la situation professionnelle, financière et judiciaire.

    PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE

    La dépendance à l’alcool est une maladie bio-psycho-sociale, multi-factorielle. Sa prise en charge doit être pluri-disciplinaire : médicale, psychologique et sociale. L’objectif thérapeutique s’inscrit dans un projet de soins personnalisé défini avec le patient et utilise différents moyens pour un changement de la consommation d’alcool vers l’abstinence ou la réduction de la consommation et prévenir la rechute. L’abstinence est l’objectif le plus sûr pour la plupart des personnes souffrant d’une dépendance à l’alcool et pour celles ayant un mésusage de l’alcool associé à une comorbidité physique ou psychiatrique significative (par exemple une dépression ou une maladie du foie liée à l’alcool). Si elles ne souhaitent pas s’engager vers l’abstinence, il faut envisager un accompagnement vers la réduction des dommages c’est-à-dire de la consommation qui devrait idéalement viser à ne pas dépasser 10 verres par semaine. Parmi les interventions psychosociales, les interventions brèves, les entretiens motivationnels et les thérapies cognitivo-comportementales bénéficient d’un niveau de preuve d’efficacité satisfaisant. L’impact sur la santé publique des interventions brèves pourrait être considérable si elles étaient appliquées systématiquement en soins primaires, grâce à la formation des soignants.

    Parmi les médicaments disponibles, l’acamprosate et la naltrexone sont indiqués dans le maintien de l’abstinence et la prévention de la rechute après sevrage. Le disulfirame est un traitement aversif proposé chez des patients motivés à utiliser ce médicament, en deuxième intention en raison de ses effets indésirables lié à son mode d’action antabuse. Le nalméfène est un antagoniste opiacé autorisé dans la réduction de consommation. Le baclofène est gabaergique et peut également être utilisé dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation, en attendant une AMM, pour le maintien de l’abstinence et la réduction de la consommation.  Tous ces médicaments doivent être associés à un accompagnement psychosocial adapté. La prise en charge est ambulatoire et prolongée, de plusieurs mois à plusieurs années, et elle peut comporter des hospitalisations de jour spécialisées ou conventionnelles : de courte durée pour sevrage simple ou de plus longue durée en soin résidentiel complexe. La participation à des associations d’entraide peut améliorer le pronostic addictologique. Il est habituel que le parcours des patients ayant un mésusage de l’alcool ne soit pas linéaire en termes de consommation ni en termes d’objectif de consommation. Le professionnel de santé doit adapter son intervention à ces changements de situation, de motivation et d’objectifs.

    PERSPECTIVES ET ENJEUX

    Le mésusage est une cause majeure de mortalité évitable avec un coût social énorme. Il est donc nécessaire de réduire la consommation d’alcool dans la population pour en limiter les risques sanitaires et les dommages sociaux en développant une stratégie de réduction des risques. Celle-ci passe par la large diffusion des nouveaux repères de consommation et la formation des soignants au repérage du mésusage d’alcool et à l’orientation des patients vers des équipes spécialisées. Celles-ci doivent être renforcées pour prendre en charge les patients qui restent longtemps suivis pour cette maladie chronique et ses complications médicales et sociales.

    Camille Barrault – Créteil

    MOTS CLÉS

    Mortalité évitable – Cancers – Cirrhose – Repérage précoce – Réduction des risques

    Références

    1. Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):97-108. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/5-6/2019_5-_2.html
    2. Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et Addictologie. 2015;37 (1):5-14. http://www.sfalcoologie.asso.fr