Syndrome de l’intestin irritable

ÉPIDÉMIOLOGIE

Le syndrome de l’intestin irritable, plus connu du grand public sous le nom de colopathie fonctionnelle, est un trouble fonctionnel digestif qui associe douleurs abdominales et troubles du transit et touche 5 à 10 % de la population en France (1). Il concerne plus de femmes que d’hommes (ratio 2/3) et peut toucher tous les âges de la vie. Bien que dans les études publiées les patients aient le plus souvent autour de 50 ans, cette maladie touche au quotidien le plus souvent de jeunes adultes mais la maladie peut aussi concerner des enfants ou adolescents, et des seniors à l’âge de la retraite. Il existe différentes formes de la maladie selon le type de trouble du transit prédominant, des formes avec constipation prédominante (SII-C ; environ 1/4 des patients), des formes avec diarrhée prédominante (SII-D ; environ 1/3 des patients) et des formes avec alternance de diarrhée et de constipation ou formes mixtes (SII-M, environ 40% des patients). La sévérité de la maladie (mesurée en utilisant un score validé, IBS-SSS) est variable selon les patients. Il existe des formes de sévérité minime, moyenne,  et des formes sévères chez 20 à 25% des patients qui sont associées à une altération de la qualité de vie parfois importante, et à une plus grande recherche de soins responsables de dépenses à la charge de la société et/ou des patients.

DIAGNOSTIC

Il n’existe aucun test diagnostique à l’heure actuelle et le diagnostic est basé sur l’interrogatoire des patients et l’examen clinique qui est le plus souvent normal.  Le diagnostic repose sur l’association de douleurs abdominales chroniques, de ballonnements et de troubles du transit. Les critères diagnostiques (critères de Rome IV), qui sont utilisés surtout dans les études et moins en pratique que cela soit par les médecins généralistes ou même par les gastroentérologues, ont été actualisés en Mai 2016 (2). Ils comprennent des critères d’ancienneté de la maladie (maladie existant depuis au moins 6 mois), et de fréquence pour les douleurs abdominales qui surviennent au moins 1 jour par semaine sur les 3 derniers mois. Le type de trouble du transit est défini en utilisant une échelle de consistance des selles (échelle de Bristol) permettant de définir les différents sous-types.

La présence de signes cliniques d’alarme (âge supérieur à 50 ans, présence de sang dans les selles ou anémie, symptômes nocturnes, amaigrissement, apparition/modification récente des symptômes) doit faire rechercher une autre maladie. La présence de co-morbidités associées au SII non digestives (fibromyalgie, cystite interstitielle, syndrome de fatigue chronique)  ou digestives comme la dyspepsie peuvent également  orienter vers ce diagnostic.

Les examens complémentaires qui sont réalisés ont pour but d’éliminer d’autres maladies qui pourraient donner les mêmes symptômes. Ils doivent être réalisés avec discernement, leur rentabilité diagnostique est faible et ils ne doivent pas être répétés inutilement. Le bilan sanguin est normal en cas de SII. On peut réaliser une NFS à la recherche d’une anémie, un dosage de la CRP à la recherche d’un syndrome inflammatoire, un dosage de la TSH (en cas de SII-D) pour éliminer une hyperthyroïdie, un dosage des AC anti-transglutaminases (en cas de SII-D ou SII-M) pour éliminer une maladie coeliaque (0 à 3% des cas selon les études). Les examens de selles (coprologie fonctionnelle, ou coproculture) ne sont pas recommandés mais l’examen parasitologique des selles peut être parfois utile dans certains contextes en cas de forme de SII-D à début brutal pour éliminer une lambliase (maladie parasitaire) qui peut persister ensuite. Dans les formes avec diarrhée, le dosage de calprotectine fécale (environ 60 euros et actuellement non remboursé) peut aider à distinguer une maladie inflammatoire d’un SII (dosage généralement normal ou modérément élevé en cas de SII, et plus élevé en cas de MICI en poussée). En France, 48 % des participants de la cohorte Nutrinet avaient une coloscopie mais ses indications doivent normalement suivre les recommandations des sociétés savantes (1). La mise en évidence d’un polype ou de diverticules non compliqués ne doit pas faire rejeter le diagnostic de SII. Dans les cas de SII-D, il faut réaliser des biopsies coliques étagées pour éliminer une colite microscopique. La gastroscopie peut être réalisée en cas de dyspepsie associée  ou de SII-D (avec la réalisation de biopsies duodénales pour éliminer une maladie coeliaque ou une lambliase). Les examens radiologiques (échographie ou tomodensitométrie) n’ont pas d’intérêt dans les formes typiques.

PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE

Il faut tenir compte de l’altération de la qualité de vie qui peut être majeure et souvent sous-estimée, à l’origine de coûts importants directs (consultations, réalisation d’examens) et indirects (arrêt de travail, moins bonne productivité au travail pour les patients symptomatiques). La relation médecin-patient est essentielle pour limiter le nomadisme médical  qui est fréquent. Il importe de donner le diagnostic au patient, de lui expliquer la réalité de cette maladie (explications brèves sur les mécanismes physiopathologiques) malgré l’absence d’anomalie des différents examens complémentaires pour ne pas les répéter, d’avoir une écoute attentive et empathique, et de rassurer le patient sur la bénignité de la maladie. Il faut aussi prendre en compte le rôle des événements de vie et en particulier d’éventuels traumatismes psychiques et/ou physiques. On peut indiquer l’existence d’une association de patients en France (Association de Patients souffrant du Syndrome de l’Intestin Irritable, www.apssii.org) qui peut aider le patient à mieux comprendre et gérer sa maladie. Il convient de fixer des objectifs thérapeutiques raisonnables, la guérison paraît non réaliste et il vaut mieux viser une diminution de la fréquence, et/ou de l’intensité des épisodes symptomatiques (et notamment douloureux), une diminution de la sévérité de la maladie (mesurée par le score de Francis)  et une amélioration de la qualité de vie (évaluée lors d’une première consultation).

MOYENS THÉRAPEUTIQUES

Les patients doivent être informés de certains principes concernant le traitement du SII et notamment de l’effet placebo qui est particulièrement important en cas de SII, pouvant être de l’ordre de 40 à 50%, l’attente d’amélioration des symptômes étant très importante chez ces patients, avec en général un gain d’efficacité des traitements inférieur à 20 % par rapport au placebo. Selon la fréquence des symptômes, les traitements peuvent être pris à la demande lors des poussées symptomatiques et pas systématiquement au long cours. Un traitement qui n’a pas d’efficacité initiale ne doit pas être poursuivi. La non réponse à un traitement est un phénomène fréquent et ne doit pas faire remettre en cause le diagnostic. En l’absence de critères prédictifs de l’efficacité des traitements, les différentes classes thérapeutiques sont souvent utilisées les unes après les autres.

Les traitements médicamenteux de première intention comprennent les antispasmodiques dans les formes avec douleurs abdominales et ou ballonnement, les laxatifs et les anti-diarrhéiques selon le type de trouble du transit.

Les traitements médicamenteux de deuxième intention comprennent en cas d’échec des traitements précédents des anti-dépresseurs, notamment pour les formes douloureuses (les tricycliques sont ceux qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’études). Les probiotiques qui sont actuellement souvent pris par les patients eux-mêmes ne sont pas remboursés. L’efficacité de ce type de traitement dépend de la souche testée, de la dose et de la forme utilisée et ne peut être extrapolée à d’autres circonstances. Certaines souches de bactéries ont montré une efficacité dans des études.

Certains traitements non médicamenteux ont aussi fait la preuve de leur utilité. L’activité physique peut entraîner une diminution de la sévérité de la maladie. Les patients font souvent des régimes car 2/3 des patients font un lien entre leurs symptômes et l’alimentation, ils sont très demandeurs de conseils diététiques, avec un risque de régime d’exclusion restrictif pouvant parfois être à l’origine de carences. L’allergie alimentaire vraie est rare, et un aliment unique est rarement désigné. Des tests d’exclusion transitoire des aliments incriminées peuvent être réalisés mais en l’absence d’amélioration clinique nette et prolongée (>4 semaines), la réintroduction des aliments exclus doit être réalisée (ex intolérance au lactose). Il n’existe pas un niveau de preuve suffisant pour baser l’exclusion des aliments sur la seule réalisation de tests d’allergie alimentaire (IgG ou autres). Il n’y a pas d’intérêt à augmenter les fibres et les fibres insolubles peuvent majorer les symptômes. Il existe des pistes thérapeutiques notamment pour diminuer la part des FODMAPs (Fructo Oligo- Di and Monosaccharides and Polyols) dans l’alimentation. Ce sont des hydrates de carbone qui peuvent être malabsorbés et entrainer alors des phénomènes de fermentation, mais ce type de régime est complexe et difficile à suivre au long cours. Certaines recommandations « standards anglosaxone » plus simples à suivre ont montré une efficacité similaire sur une durée courte. Il n’existe aucun intérêt à proposer un régime sans gluten aux patients en l’absence de maladie coeliaque avérée même si une « sensibilité au gluten sans maladie coeliaque » a été décrite récemment, les patients qui se mettent au régime sans gluten auraient une amélioration de leurs symptômes.

L’éducation thérapeutique pourrait être envisagée car il a été démontré que les patients ont souvent des idées fausses sur leur maladie et notamment sur les risques d’évolution (peur du cancer ou des MICI) ce qui majore l’anxiété et aggrave les symptômes. Le fait d’informer les patients sur les causes de la maladie et sa bénignité diminue le recours aux soins, la sévérité du SII, et favorise des stratégies d’adaptation.

Les patients insuffisamment satisfaits des traitements classiques ont fréquemment essayé un ou plusieurs traitements alternatifs. L’hypnose a montré son efficacité au cours d’études cliniques de bonne qualité, d’autres types de traitements sont encore à l’étude comme l’ostéopathie alors que d’autres comme l’acupuncture sont jugés inefficaces. Les thérapies cognitivo-comportementales : peu utilisées en France, peuvent aussi avoir une efficacité. Il faut noter que certains traitements qui ont montré une efficacité dans des études randomisées et ont pour certains un agrément au niveau européens, ne sont pas actuellement disponibles en France : la rifaximine dans les formes sans constipation, l’alosetron et l’eluxadoline dans les formes avec diarrhée, le linaclotide et la lubiprostone dans les formes avec constipation. Des traitements utilisés dans les douleurs neuropathiques comme la pregabaline, ou l’ebastine utilisée pour le traitement des rhinites allergique ont une efficacité a été rapportée chez des patients avec hypersensibilité viscérale sans AMM dans cette indication.

PERSPECTIVES ET ENJEUX

Les enjeux sont une meilleure prise en charge globale de la maladie en France qui passe par une amélioration de l’information sur la maladie, la mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique, la formation des professionnels de santé, une mise à disposition de certains médicaments efficaces dans des sous-groupes et une amélioration de la relation médecin-patient. En dehors d’une diminution de la sévérité de la maladie et d’une amélioration de la qualité de vie des patients, il est probable que cela ait des conséquences en terme de dépenses de santé en réduisant le nomadisme médical, les examens inutiles ainsi que les arrêts de travail(3).

Jean-Marc Sabaté – Bobigny

MOTS CLÉS

Syndrome de l’intestin irritable, douleur abdominale, trouble du transit, relation patient-médecin, qualité de vie.

Références

  1. Torres MJ, Sabate J-M, Bouchoucha M, Buscail C, Hercberg S, Julia C. Food consumption and dietary intakes in 36,448 adults and their association with irritable bowel syndrome: Nutrinet-Santé study. Ther Adv Gastroenterol. 2018;11:1756283X17746625.
  2. Mearin F, Lacy BE, Chang L, Chey WD, Lembo AJ, Simren M, et al. Bowel Disorders. Gastroenterology. 2016 Feb 18;
  3. Sabaté J-M, Rivière S, Jouet P, Gastaldi-Menager C, Fagot-Campagna A, Tuppin P. Healthcare use by 30,000 patients with irritable bowel syndrome (IBS) in France: a 5-year retrospective and one-year prospective national observational study. BMC Gastroenterol. 2019 Jun 27;19(1):111.